Contrôler les infestations de Striga en Afrique
Lominda Afedraru*
Les agriculteurs qui cultivent des céréales dans la plupart des pays africains ne sont que trop au courant des défis posés par la Striga, une plante parasite également connue sous le nom d’herbe des sorcières qui infeste les champs des agriculteurs et réduit les rendements, voire compromet entièrement la récolte.
Aujourd'hui, des scientifiques africains sélectionnent des maïs capable de résister à cette plante nuisible, et les agents de vulgarisation offrent aux agriculteurs diverses solutions pour améliorer les rendements dans les zones où la mauvaise herbe envahissante est particulièrement répandue.
La striga infeste les racines de la plante hôte, en particulier les céréales appartenant à la famille des graminées. Elle survit en siphonnant de l'eau et des nutriments provenant de plantes hôtes telles que le maïs, le riz, le mil et le sorgho, retardant ainsi le développement et favorisant le flétrissement des hôtes. La striga a affecté la production de nombreuses cultures, mais le problème est particulièrement grave pour ceux qui produisent du maïs, qui est considéré comme une culture de base par une majorité de la population africaine.
Alors que 80 % des espèces de striga se trouvent en Afrique, la mauvaise herbe constitue un véritable défi mondial. Elle a commencé à apparaître dans les champs de maïs aux États-Unis et en Australie dans les années 1950 avant que l'application massive d'intrants chimiques ne soit utilisée pour l'éliminer.
Cette expérience a permis aux scientifiques africains, en particulier en Ouganda et au Kenya, de concevoir de nouveaux moyens pour les agriculteurs de relever ce défi afin d’améliorer la production des cultures touchées.
Un article paru dans la revue PLOS Pathogens en janvier 2018 indiquait que la striga s'était étendue depuis son aire d'origine, des collines de Semien en Éthiopie et des collines de Nubie au Soudan, à plus de 40 pays africains. Dans les champs infestés, la striga entraîne des pertes de récolte de 20 à 100 %, ce qui entraîne des pertes économiques importantes. Par exemple, la striga induit une perte estimée entre 111 et 200 millions de dollars par an, rien que dans les rizières africaines.
Dans un article publié en 2011 par l’Université Suédoise des Sciences Agricoles, les chercheurs Jenny Anderson et Marcus Halvarsson ont découvert qu'au Nigéria, dans la zone septentrionale de savane guinéenne, le sorgho avait perdu 50 % de sa vigueur en raison de la striga. Au Kenya, la production de sorgho est de 550 kg par hectare dans les zones infestées par la striga, contre 1.200 kg par hectare là où la mauvaise herbe n’est pas présente.
Le Dr Micheal Otim, responsable des programmes de recherche sur les céréales et les légumineuses de l'Organisation Nationale de Recherche sur les Ressources Agricoles de l'Ouganda (NARO), a identifié quatre grandes zones de striga en Afrique de l'Est : la zone du lac Victoria, la zone sèche intérieure située en Tanzanie, la zone humide intérieure en Ouganda et une zone côtière le long de l’Océan Indien au Kenya et en Tanzanie.
La plus touchée est la zone du lac Victoria, où la striga entraînerait des pertes de récoltes de 50 à 80 % dans toute la région. La Tanzanie a la plus grande superficie infestée par la striga, plus d'un million d'hectares au total, et plus d'un tiers de ses 1,2 millions d'hectares consacrés à la production de maïs. En Ouganda, 262.000 hectares et 32 pour cent de son maïs sont infestés par la striga, tandis que le Kenya compte 216.000 hectares de terres cultivées touchées par la striga, dont la plupart se trouvent près du lac Victoria.
En Afrique de l’Est, les retombées économiques sont considérables : plus de 568 millions de dollars par an.
Le Dr Charles Lwanga Kasozi, chargé de recherche principal à la section céréales de la NARO, collabore depuis 2013 avec une équipe de scientifiques en Ouganda et au Kenya pour évaluer l'infestation par la striga dans les champs des agriculteurs. Selon lui, la mauvaise herbe constitue un défi important pour les producteurs de céréales en Afrique de l’Est.
« La mauvaise herbe attache ses racines à la plante hôte et retire l'eau et les nutriments de la plante hôte, provoquant ainsi un retard de croissance et le flétrissement. Cela cause 20 à 100 % de dégâts à la plante hôte », a-t-il déclaré. « Quand elle pousse, elle produit des graines qui germeront en fonction de la fertilité du sol et de la présence de substances chimiques produites par les plantes hôtes, mais ses graines peuvent rester en dormance dans le sol jusqu'à 20 ans. »
Kasozi a déclaré que des scientifiques de l'Ouganda et du Kenya avaient sélectionné des variétés de maïs qui conféraient une résistance à la mauvaise herbe. Les scientifiques conseillent aux agriculteurs d’utiliser des variétés de maïs résistantes à des herbicides, notamment la variété Longe7H IR (résistante à l’imazapyr) produite par la société ougandaise Nasesco Seeds, en collaboration avec l’équipe scientifique de l’Institut National de Recherche sur les Ressources Végétales (NaCRRI). De nombreux agriculteurs cultivent déjà cette variété au Kenya et en Ouganda.
D'autres variétés de maïs en cours de développement seront capables de résister à la striga et de bien pousser en cas d'infestation. Ces variétés, dotées d'une structure génétique qui confère une résistance, sont sélectionnées en partenariat avec l'Institut International d'Agriculture Tropicale (IITA) et le CIMMYT et devraient être commercialisées dans les deux ans.
Outre les nouvelles variétés, les agriculteurs adoptent également une autre technique appelée « push-pull » (ou « répulsion-attraction »), qui consiste à semer la culture hôte avec du Desmodium en culture intercalaire pour étouffer la striga et augmenter la fertilité du sol.
Les agriculteurs sont également encouragés à procéder à un désherbage précoce afin de limiter le nombre de striga poussant dans les champs de cultures céréalières. Quand trop de mauvaises herbes sont déjà dans le champ, les agriculteurs sont encouragés à faire pousser du Crotalaria pour qu’il serve de piège.
Isaac Wamatsembe, inspecteur agricole du Ministère de l'Agriculture, de l'Industrie Animale et de la Pêche de l'Ouganda, a déclaré que lorsque ses équipes effectuaient leur travail de terrain habituel, elles conseillaient aux agriculteurs de se protéger de la striga en laissant les terres en jachère pendant deux à trois ans avant de ressemer une céréale sur le même terrain.
Il note que dans l’ensemble de l’Afrique, la mauvaise herbe constitue une menace pour les agriculteurs, en particulier pour les femmes impliquées dans le désherbage et empêchées de ce fait d’accomplir un autre travail quotidien.
Wamatsembe a ajouté que les enfants sont aussi parfois affectés, leurs parents ayant tendance à les utiliser comme source de main-d'œuvre, les obligeant à désherber les champs de maïs, de riz, de sorgho et de mil avant d'aller à l'école.
____________
* Source : https://allianceforscience.cornell.edu/blog/2019/08/controlling-witchweed-infestations-africa/
Le technologie « push-pull » utilise dans la configuration évoquée ci-dessus Desmodium uncinatum Jacq. et Pennisetum purpureum Schumach (herbe à éléphants). Desmodium a un effet répulsif sur les foreurs de tige tels que Busseola fusca et Chilo partellus. Pennisetum les attire et, sa surface étant un peu visqueuse, les larves sont engluées et meurent.
Desmodium stimule en outre la germination de Striga mais le lui permet pas de se fixer sur ses racines, ce qui diminue le stock de semences. C'est aussi une légumineuse qui fixe donc l'azote et améliore la fertilité.
Et les deux plantes sont aussi fourragères.
Le push-pull est évidemment célébré par la gent qui se dit écologiste et sauveur de la Planète.
Mise au point il y a une vingtaine d'années, la technique peine cependant à se diffuser. Ce document de l'INRA fait état de quelque 69.000 agriculteurs utilisateurs en 2013, mais sans préciser l'aire géographique.
C'est que la technique n'est pas sans inconvénients et limitations. Le Centre International de Physiologie et d'Écologie des Insectes (ICIPE – International Centre of Insect Physiology and Ecology) a commandé en 2009 une étude d'impact dont on trouvera les résultats ici. Elle a porté sur 24 villages avec un taux d'adoption moyen de 19 %.
Au final, ce qui compte, ce ne sont pas les discours dithyrambiques des fans, mais les rapports avantages-inconvénients ou encore contraintes-bénéfices... Et la disponibilité de semences, de plus de types adaptés aux conditions locales.
Pour une adaptation à la lutte contre la légionnaire d'automne, Spodoptera frugiperda (J E Smith), voir par exemple ici et ici.